L’épreuve du bandeau coupe le candidat du monde profane et met en relief la nuit qui l’enveloppe. L’œil du cœur est appelé à se substituer à l’œil corporel.
Pendant les trois voyages, le jour de sa réception (ou de son initiation), les yeux bandés de l’impétrant lui empêchent toute vision. L’ouïe reste active mais perçoit des bruits insensés. La raison, maîtresse du cerveau, ne comprend rien à ce qui se passe. Le corps, quant à lui, monte, descend, se courbe, s’agenouille. Souffrant, le corps ne sait plus où il se trouve et où il se rend, il n’agit plus que par mimétisme, comme totalement abandonné au guide qui le conduit dans son périple.
La vue inopérante, le corps fatigué et le cerveau désorienté dans cette épreuve, ont du mal à s’accorder ; leur alliance n’est plus assurée. Coupé de sa perception de surface, le récipiendaire se retrouve désemparé, il est perdu, égaré, incapable de bien comprendre les messages qui s’adressent à lui.
On perçoit ainsi la limite du mental et du cerveau qui ne comprennent bien en général que les choses physiques et matérielles qui les entourent.
La dilatation du cœur
On lit, dans les Instructions morales du grade d’Apprenti du Rite Ecossais Rectifié : « Les trois voyages dans l’obscurité vous ont figuré la carrière pénible que l’homme doit parcourir, les travaux immenses qu’il a à faire sur son esprit et sur son cœur et l’état de privation où il se trouve lorsqu’il est abandonné à ses propres lumières. »
Les « propres lumières » de l’homme, dont parle le texte du Rectifié, ce sont celles produites par son corps, son cerveau, ses sens, son mental. L’homme, en effet, est convaincu de vivre en voyant le monde.
Alors que la vue du candidat est occultée et que ses autres sens rendus inopérants pendant les trois voyages, c’est comme s’il était conduit à dilater son cœur afin que le rationnel et le mental fassent place à la perception et à l’intuition. L’occultation de la vue nous invite à déplacer notre centre de discernement, et ainsi à voir avec des yeux internes et à sentir avec le cœur.
L’œil du cœur
On dit que la maçonnerie enseigne le « langage du cœur ». Seul le cœur peut comprendre ce langage que le cerveau et la raison ne comprennent pas. C’est notre intimité, notre sensibilité profonde, notre être intérieur qui sont interpellés par l’initiation. En effet, l’initiation nous « atteint à l’intérieur », au delà de notre mental, de notre intellect et de notre ego. C’est à notre cœur que s’adresse l’initiation et non à notre raison !
Dans un de ses livres, Antoine de Saint-Exupéry fait dire au renard qui converse avec le Petit Prince : « Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ». On peut dire que l’essence des choses est invisible et ne se perçoit qu’avec le cœur.
La Tradition affirme que l’initié « voit » les choses avec l’ « œil intérieur », et que le profane compte uniquement sur ce que lui transmet l’œil physique, concret et sensible. Certaines traditions, emploient l’expression « œil du cœur » pour nommer l’organe de perception de la lumière de l’esprit. Le maçon, le jour de sa réception, « reçoit la lumière ».
L’Evangile de Matthieu fait dire à Jésus : « … Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. L’œil est la lampe du corps. Si ton œil est en bon état, tout ton corps sera éclairé… » (Matthieu 6, 21-22) On peut penser que Jésus ne parlait certainement pas de l’œil physique, mais de l’œil spirituel, le troisième œil, l’œil du cœur grâce auquel nous pouvons pénétrer le monde visible et le monde invisible.