Mort | Rite Ecossais Rectifié

 » Pensez-donc à la mort « 

(Rite Ecossais Rectifié)

Dans un bon nombre de rites maçonniques, le thème de la mort apparaît dès le grade d’Apprenti. Ainsi, au Rite Ecossais Rectifié, ce thème est présenté au candidat lors de son séjour dans la  » Chambre de préparation « , avant la cérémonie de sa réception, par « une tête de mort en argent, ou de couleur blanche, en peinture sur un carton, reposant sur deux os en sautoir, avec la mention :  » tu viens de te soumettre à la mort. La vie était souillée mais la mort a réparé la vie ». »

Dans d’autres rites, comme le Rite Ecossais Ancien Accepté par exemple, l’image de la mort, dans le « Cabinet de réflexion », est donnée au candidat sous une forme multiple : une faux, un sablier, un squelette, un crâne. Il est demandé à l’impétrant de rédiger son testament philosophique, véritable bilan de sa vie, véritable travail de deuil également.

Alors qu’on aurait pu s’attendre à une formule du type « Pensez-donc à la vie », le Rite Ecossais Rectifié nous assène, à son grade de Maître, cette saisissante et lugubre exhortation « Pensez-donc à la mort ». Voilà une injonction assez inattendue car habituellement la mort est redoutée car elle génère l’angoisse et l’effroi. Epicure (341-270 av. J.-C.) soulignait la précarité de la vie du fait de l’existence de la mort : « À l’égard de toutes les autres choses, il est possible de se procurer la sécurité ; mais à cause de la mort, nous, les hommes, nous habitons tous une cité sans murailles ».

Idée angoissante, génératrice de perturbations mentales, de peur et d’angoisse, la mort, avec son cortège de souffrances et de douleurs, est souvent évacuée ou escamotée du discours. (…) Celui qui en parle est critiqué, accusé de fragilité ou de cruauté. Parménide (v. 515-v.440 av. J.-C.) estimait que « Penser la mort, c’est penser le néant, le non-être. » Epicure écrivait : « … quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas ! »

Autant faire donc « comme si » elle n’existait pas ; autant vivre dans l’insouciance et ne songer qu’à ses projets, aux plaisirs du moment, ou aux plaisirs futurs. Blaise Pascal (1623-1662) dans ses Pensées énonçait cette idée pessimiste : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser. »

La philosophie maçonnique de la mort

La philosophie maçonnique considère en effet que refuser la mort (ne pas y penser ou la fuir), c’est, d’une certaine façon, refuser aussi la vie. « C’est parfois la peur de la mort qui pousse les hommes à la mort » disait Epicure. Épictète (50-125 ou 130) estimait que ce sont nos craintes et nos peurs qui rendent la mort terrifiante. « Penser à la mort », c’est donc, en quelque sorte, éviter de la craindre pour mieux l’affronter.

L’approche maçonnique nous invite à penser que la mort n’est pas une simple fatalité, une injustice ou une punition. L’enseignement maçonnique, comme celui de nombre d’écoles de sagesse, ne veut pas se laisser prendre par l’idée qu’elle est une force purement maléfique, malveillante, insensée et arbitraire, mais qu’elle est nécessaire comme une composante même de la vie. Sénèque (v. 4 av. J.-C. – 65 apr. J.-C.) livrait déjà une pensée réconfortante à ce propos : « La mort est quelquefois un châtiment ; souvent c’est un don ; pour plus d’un, c’est une grâce. »

(…) Si l’aboutissement de la vie est bien une mort physique, physiologique pourrait-on dire, et si cette mort marque douloureusement la fin d’une étape terrestre, elle est d’abord la fin d’un cycle : « A toute époque, les initiés ont considéré la mort comme une libération, une fonction naturelle de la vie, comme la fin d’un cycle, un repos destiné à préparer de nouvelles floraisons, comme l’hiver de la terre prépare les printemps futurs », écrit Henri Durville (1887-1963).  

Lorsque Montaigne estimait que : « La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, a désappris à servir », il s’inspirait sans doute de Sénèque qui, près de seize siècles auparavant, écrivait : « Entraîne-toi à la mort : qui dit cela t’ordonne de t’entraîner à la liberté. Qui a appris à mourir a désappris à être esclave. »

La mort, loin de déboucher sur une impasse, est ainsi le symbole de l’initiation à un au-delà des contingences, des infirmités de la vie matérielle.

En associant la mort à la renaissance, la Franc-Maçonnerie exprime le sentiment d’une irréfragable volonté de survie et donne de la mort une vision optimiste proche de la formule d’Héraclite au 6ème siècle av. J.-C.  : « Les hommes vivent de mort et meurent de vie. Vie et mort, veille et sommeil, jeunesse et vieillesse, sont une même chose : elles sont mutuelles métamorphoses. »

A suivre…

LE TEXTE EST EN GRANDE PARTIE EXTRAIT DU LIVRE DE JEAN-CLAUDE SITBON :

«  Hiram. Exégèses bibliques et maçonniques du mythe fondateur de la Franc-Maçonnerie »

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Suite : La Mort initiatique 2/2

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JCS

Avec une pratique de plus de vingt années du Rite Écossais Rectifié, J.C. Sitbon a été Vénérable Maître de sa loge de 2003 à 2006 et rédacteur en chef, jusqu’en 2008, de L’Etroit Lien, journal destiné à une dizaine de loges provençales travaillant au Rite Écossais Rectifié.

En 2009, il fonde et depuis anime le Cercle d’Etudes et de Recherches sur le Rite Écossais Rectifié  (CERRER), situé à Marseille, dont les travaux visent à approfondir l’histoire des origines, de la structuration et de l’évolution de ce rite maçonnique. LE CERRER accorde également une place importante à l’étude de la symbolique et aux spécificités du Rectifié, tout en privilégiant une approche universelle.